Analyse – La Qualité de Vie au Travail – De la NAO au CSE – EXOCE

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Extrait de l’intervention de Arnaud Farizon, Consultant CSE du Cabinet EXOCE, lors du webinaire Dessine Ton Taf! du 17/12/2021


Voici donc un nouvel acronyme pour le thème du jour: la « QVT » pour « qualité de vie au travail ». Qu’est que ça veut dire concrètement pour les élus en matière d’intervention ou de capacité à agir concrètement sur le sujet ?

Déjà, on peut se dire que si le sujet est traité par le législateur c’est qu’il y a du grain à moudre, et aussi des problèmes à régler… bien sûr, pas dans tous les cas (il faut toujours nuancer les choses). Néanmoins, on constate un fort taux de rotation du personnel dans les sociétés qui offrent le moins bon cadre aux salariés (stress, salaires, conditions de travail).

Par ailleurs, il y a obligation à négocier sur le sujet, il faut donc s’y intéresser et se poser des questions sur les champs d’intervention, avoir de l’imagination quant aux propositions à formuler.

Il faut également faire le lien, pour mesurer les difficultés à négocier sur le sujet, avec la contradiction à résoudre entre cette notion de qualité de vie au travail et les exigences que les employeurs font peser sur les épaules des salariés en matière de productivité du travail, de flexibilité, d’agilité, de capacité à s’adapter à des modes de gestion qui organisent de moins en moins le travail et diffusent la hiérarchie de décisions dans un brouillard épais aux yeux des salariés.

Pour illustrer le propos, je vous cite quelques exemples de ce que j’évoque en matière d’organisation du travail déconcertante :

  • Activité partielle en semaine et déclenchement des heures supplémentaires le samedi
  • Salarié laissé seul au démarrage d’un télésiège et sanctionné pour ne pas avoir vu qu’un garde-corps n’avait pas été rabattu (menace de sanction permanente)
  • Courriels envoyés à toute heure y compris le week-end à des salariés accédant à leur messagerie en permanence
  • Pointage hors des limites et zéro intervention de l’entreprise
  • Une seule infirmière la nuit pour 40 patients et obligation de faire un choix si 2 urgences vitales, et pression des médecins par rapport aux prescriptions
  • Pointage sur les téléphones des patients par les aides à la personne, y compris quand la personne à une maladie type Alzheimer et que le temps passé à chercher le téléphone n’est pas payé
  • Pas assez de temps accordé pour les toilettes des résidents en EHPAD, dont certains sont laissés de côté, plus la gestion de la colère des parents des résidents
  • Pas d’écoute des salariés qui montrent des risques de panne sur des équipements de production et déclenchement d’heures supplémentaires le samedi quand l’équipement est tombé en panne
  • Absence de consultation du CHSCT et du CE sur implantation de nouvelles lignes sur un site Seveso
  • Les directeurs de sites qui sont débarqués sans ménagement, du jour au lendemain, avec le message de précarité permanente et à tous les niveaux que cela implique
  • Etc, les exemples pourraient être multipliés à l’infini, sur les seules entreprises que nous connaissons, avec le développement d’une constante : développer la polyvalence au maximum dans la recherche de l’interchangeabilité du personnel, et au passage sa dévalorisation du fait de la dépossession des salariés de leur métier

J’en viens au concret en attirant l’attention sur le fait que pour les représentants du personnel, il y a un écueil important à éviter : ne pas couper le lien entre les matières que l’on aborderait au travers de la négociation sur la QVT et les prérogatives du CSE sur ces mêmes matières ainsi qu’avec les obligations faites à l’employeur par le code du travail, toujours sur ces mêmes matières.

Je prendrai comme exemple les dispositions des articles L4121-1 et L4121-2 :

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, d’information et de formation ainsi que la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Code du travail

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.

L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

éviter les risques ;

évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

combattre les risques à la source ;

adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L 1152-1 et L 1153-1 du Code du travail ( N-IV-21200 s.), ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L 1142-2-1 du même Code ( N-IV-21410) ;

prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Code du travail

Comme on débat rarement dans les séances du CSE sur les projets d’investissements, la question de l’adaptation des équipements envisagés à des conditions de travail acceptables, par exemple.

Je ne rentre pas davantage dans le détail de ces textes et du champ d’intervention qu’ils ouvrent. Je veux simplement attirer l’attention sur le fait qu’une négociation sur la QVT me semble devoir intégrer, en préambule, un travail et une analyse sur le respect de ses obligations par l’employeur en matière d’organisation et de conditions de travail.

L’idée étant que la négociation porte réellement sur quelque chose qui aille au-delà de ce que prévoit déjà le code du travail.

Je veux également pointer une réalité à laquelle les représentants du personnel et les salariés sont confrontés dans les entreprises où nous entrons au sujet de la QVT : les négociations tardent à s’engager, et par conséquent à déboucher.

Elles tardent à débuter car, concrètement il y a un enjeu que les entreprises analysent en termes de productivité et de coûts.

Dans les entreprises où nous intervenons, nous voyons en synthèse deux situations au regard de cette négociation :

  • Des entreprises dans lesquelles les directions font traîner les choses, de manière non ambigüe
  • D’autres entreprises qui attrapent le sujet avec sérieux et débutent avec l’intervention d’un prestataire extérieur pour réaliser un questionnaire anonyme auprès de l’ensemble des salariés de l’entreprise, ce qui fonctionne plutôt bien dans les cas que nous avons vu, ou en tout cas produit des résultats intéressants pour ce que cela permet aux salariés de s’exprimer.

Dans le cas où la négociation tarde à s’engager, les organisations syndicales ont toute latitude à saisir l’inspection du travail pour contraindre l’employeur sur le sujet.

Dans tous les cas, il faut déjà bien préparer le sujet : c’est-à-dire trouver les ressources qui vont permettre de cibler les thèmes à mettre en négociation afin de préparer des propositions concrètes, ainsi que ce qui relève des obligations de l’employeur à faire porter à l’ordre du jour des réunions du CSE sans attendre : il s’agit d’utiliser les capacités d’actions du CSE que ses prérogatives légales lui octroient.

Sur le sujet, les interventions précédentes montrent que des informations sont disponibles et accessibles, auxquelles on peut ajouter celles que produisent les syndicats de salariés qui publient tous sur le sujet, qu’ils soient signataires ou non de l’ANI de 2013.

Du point de vue des salariés, cette question de la négociation sur la QVT doit véritablement s’articuler de la sorte :

  • Intervention du CSE sur les obligations de l’employeur
  • Négociation par les délégués syndicaux sur ce que l’on ajoute à ces obligations

Attention donc à ne pas priver le CSE d’une partie de ses moyens d’action avec un accord restrictif.

L’attention des représentants du personnel et délégués syndicaux doit aussi porter sur le fait que la QVT doit faire l’objet d’une négociation : elle doit se solder par un accord.

Je disais précédemment que nous avons vu plusieurs enquêtes réalisées par les entreprises elles-mêmes, c’est-à-dire sur leurs deniers, après s’être mis d’accord avec le CSE. Je précise également que le CSE a la possibilité de faire réaliser une telle enquête, financée par le budget AEP. La question du choix de l’intervenant n’est pas neutre, bien évidemment.

Si ces enquêtes publient des résultats qui n’hésitent pas à montrer les difficultés que peuvent rencontrer les salariés, dont ils ont fait part eux-mêmes pour le coup, toute la difficulté vient ensuite quant à savoir ce que l’on fait de ces résultats.

L’enjeu pour les salariés et leurs représentants est de maintenir le sujet dans le cadre strict du CSE et de la négociation.

Ce que nous avons observé dans tous les cas, c’est la mise en place de groupes de travail sur les grands sujets issus de ces enquêtes.

Or, le groupe de travail, c’est l’enterrement du sujet presqu’à coup sûr…c’est même parfois une stratégie de dilution des problèmes que les salariés doivent impérativement éviter.

Le groupe de travail intègre habituellement des salariés volontaires pour y participer, donnant le sentiment que les sujets vont être réellement débattus et les aspirations des salariés entendues.

Le plus souvent, l’organisation des groupes de travail s’étiole dans le temps jusqu’à ce que tout le monde oublie son existence.

Il faut donc être attentif à éviter que les discussions échappent au contrôle de la négociation, et que leur solution se traduisent par un accord et non une charte comme c’est souvent le cas qui n’est ni plus ni moins qu’une déclaration de principe non engageante.

Je ne veux pas paraître dur sur le sujet, mais notre expérience nous montre que si des diagnostics sur lesquels les parties à la négociation peuvent s’appuyer sont assez souvent mis en œuvre, en revanche cela débouche rarement sur un accord « contraignant » pour l’employeur.

Il faut garder en tête que les problèmes que rencontrent les salariés auxquels la QVT peut répondre sont nés de l’évolution des modes de gestion du personnel pour l’essentiel : on licencie des salariés pour cause de « savoir-être » par exemple…bien loin de se soucier de la QVT…

Ce sont donc des enjeux capitaux qui peuvent s’exprimer au travers de l’abord de la négociation QVT en entreprise pour laquelle en synthèse :

  • Il est absolument impératif de s’informer voir de se former sur le sujet (institutionnels, OS, conseils, …) : il s’agit de faire un travail d’éducation sur soi-même, mais également sur l’employeur
  • Il est impératif également de faire précéder la négociation de l’intervention du CSE (y compris CSSCT quand elle existe) pour mettre à l’ordre du jour les obligations de l’employeur pour analyser les écarts existant avec la situation réelle : y compris en mobilisant le droit à l’expertise dans le cadre des consultations annuelles par exemple
  • Veiller à ce que la négociation ne porte que sur des avancées par rapport au droit
  • Veiller à maintenir le sujet entre le CSE et la négociation avec les DS
  • Exiger les moyens nécessaires dans l’entreprise : cela peut prendre la forme d’heures de délégation spécifiques pour les représentants du personnel et délégués syndicaux, ainsi que de ressources au niveau des services RH qui sont souvent sous dotés

Et en conclusion, j’ajouterai que le premier axe de la QVT me semble être le respect des salariés au travers de celui des prérogatives des IRP, à la dégradation duquel la dépénalisation du délit d’entrave n’est pas étrangère.

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